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  • Photo du rédacteurM&S Brichart

Nicaragua #2 - Du Nord au Sud

Dernière mise à jour : 2 oct. 2018



León, l’étudiante désenchantée


Après une longue journée de voyage depuis le Guatemala et une courte nuit, nous sommes réveillés par la chaleur étouffante de notre chambre.

 

Impossible de rester au lit plus longtemps, on est déjà en nage. On jette un œil dans l’hôtel, une très grande et belle demeure dans le style colonial reconvertie en hôtel de backpackers. Pas un chat, si ce n’est l’employée qui fait le ménage et le patron, Patrick, à la réception.

L’atmosphère est étrange, il n’y a pas un bruit, pas un mouvement, les visages de nos seuls interlocuteurs nous paraissent un peu tristes et lorsqu’on interroge Patrick au sujet d’une laverie à proximité, il nous répond d’un air désabusé que toutes ont fermé ou presque. On décide de sortir « prendre l’air » et faire un tour dans cette ville réputée dynamique et jolie et tenter notre chance dans la laverie au bout de la rue. A peine le pied dehors, on est assailli par la chaleur écrasante et le soleil cuisant à tel point qu’on rase les murs à la recherche d’un peu d’ombre. Finalement on a de la veine, la boutique est ouverte. S’en suit une journée tranquille quoi qu’un peu déstabilisante où l’on déambule dans les rues de Léon, vide de touristes et dont l’activité semble se passer au ralentie. Commerces, hôtels et agences de voyage ferment les uns après les autres, et ceux qui tiennent encore après un mois et demi de crise, n’accueillent quasiment plus personne. Ça nous remue un peu l’estomac de voir toutes ces gens attendrent on ne sait plus trop quoi avec un grand calme, presque comme si rien n’avait changé.


Pourtant, on sent bien qu’en temps normal cette ville doit fourmiller et vibrer d’une vie incessante tant les comedors, restau, bars et cafés sont nombreux. Et puis surtout, Léon est réputée pour être l’une des principales villes étudiantes du pays ce qui explique notamment la paralysie dans laquelle elle s’enfonce, puisque les étudiants soutiennent l’opposition. De ce fait, toutes les universités ont fermé ce qui impacte considérablement l’économie de Léon. Nous déjeunons dans l’un de ces comedors, sorte de cantine où les prix défient toute concurrence (1€/pers) et habituellement bondés d’étudiants.


De retour à l’hôtel, nous observons avec soulagement qu’il y a 4 ou 5 autres touristes. On se dit que ca va donner un peu d’air à Patrick. Mais quand on discute avec lui, il nous explique que la situation est catastrophique, qu’il rogne sur ses économies pour ne pas licencier tout le monde mais que faute d’amélioration, à la fin du mois il met la clé sous la porte. Le personnel est déjà à tiers temps et ce ne sont pas les 6 clients qui rempliront les 60 lits de l’hôtel… Et puis après 3 jours, tous ont filé.


Ancien de la banque, Patrick s’est marié à une nicaraguayenne il y a 8 ans, ensemble ils ont eu une petite fille. Favorable au changement dans le pays, il observe pourtant avec désolation la tournure que prennent les évènements. Selon lui l’opposition ne propose rien de durable en alternative à Ortega, et sans projet concret et leaders sérieux et reconnus, l’opposition ne parviendra pas à faire tomber un régime composé de têtes brulées, prêtes à tout pour rester en place. Chaque jour nous discutons un peu plus avec lui, chaque jour on le voit un peu plus amère face à cette situation ingérable. Se battant avec l’ambassade de France au Costa Rica pour faire évacuer femme et enfant vers la France, il est en pleine déprime. Et puis forcément il n’est pas le seul. Pas mal d’expats ont monté leur petites affaires dans ce pays encore si prometteur 2 mois plus tôt. Pour les locaux c’est une autre histoire, eux vivent une révolution et ils comptent bien la mener au bout coute que coute. Le prix à payer risque d’être très lourd entre une grande précarité et beaucoup de souffrance morale et physique.


Dans ce contexte très particulier mais sans incidents à ce moment là, perdu dans notre hôtel vide, on se sent tous les deux un peu comme dans un film. On se demande quand les choses vont tourner au vinaigre. Et puis on attend des nouvelles d’un volontariat dans une coopérative que nous sommes sensés réaliser dans les jours prochains. Patrick nous conseille d’oublier le volontariat car la situation de la région dans laquelle il se situe est déjà bien tendue. Mais nous voulons en avoir la confirmation par les responsables de la coopérative qui paraissent très confiants. On ne veut pas les lâcher comme ça. Dans l’incertitude, on décide de ne pas se laisser aller pour autant et de profiter des nombreuses activités que le coin offrent en attendant de prendre notre décision finale.


Deux jours après notre arrivée nous filons dévaler les pentes du Cerro Negro en luge ! Partis de bon matin escortés par notre guide, Luis, et son pote qui conduit nous roulons un bon moment sur des pistes en pleine campagne. Nous profitons du décor verdoyant avant d’arriver au pied d’un volcan tout noir et d’apparence sablonneuse. Ca fait 15 jours que Luis n’a pas eu un seul client et le registre du site n’affichent pas beaucoup de visites. D’ailleurs on est tous seuls quand on démarre l’ascension et s’est d’autant plus appréciable que le paysage est somptueux, les couleurs saisissantes. Luis n’est pas avare d’informations. Le volcan dont la roche est d’un noir de jet contraste vivement avec la végétation luxuriante d’un vert pétant qui l’entoure à perte de vue. Ici et là on aperçoit d’autres cratères dispersés aux alentours pendant qu’à nos pieds le sol fume et dégage de plus en plus une odeur de souffre à mesure que nous nous rapprochons du sommet.

Alors qu’à notre arrivée, le volcan nous paraissait uniformément noir et conique, en le contournant nous découvrons que toute une face est composée de différentes strates de roches et de matières cristallisées par le refroidissement suite aux explosions en série. Rouge, orange, jaune, blanc se mélangent et rompent avec le noir et le vert ambiants. Une coulée de lave vient déchirer la forêt en contre bas. Aïe aïe aïe, on se régale. Bien que déjà rapide, la montée se révèlera bien plus longue par rapport à la descente que nous faisons en luge sur une pente bien raide du volcan. Il parait qu’on peut monter à 70km/h mais on devait être bien en deçà, mais on. On s’arrête naturellement au bas de la pente en s’enfonçant presque dans le sol. Avant de repartir, on déguste un bon ananas bien juteux au milieu d’une multitude de germes de pastèques, melons et autres fruits laissées par d’autres visiteurs avant nous. Luis nous informe que malheureusement pour elles et malgré le sol fertile, il y a de bonnes chances pour que ces jeunes pousses crament au soleil sans l’abri d’une végétation plus haute.



Depuis León, nous nous échappons aussi à la plage de Las Penitas, l’occasion d’une petite séance de surf ou encore d’une baignade dans le grand bleu, notre première dans l’océan Pacifique. Farniente totale. Des bus passent toutes les heures pour rentrer, mais malheur à nous, celui que nous visions pour notre deuxième sortie est passé plus tôt que prévu. Pour être sûr de ne pas rater le suivant et surtout le dernier, nous nous postons au bord de la route. Et ce qui devait arriver arriva, à la nuit tombée les moustiques tigres nous tombent dessus et ne nous font pas cadeau. Dans le restau d’à côté on entend les tapettes électriques qui vont bon train. Impossible de rester immobile plus de 2 secondes sous peine de se prendre une méchante piqure. Certains moustiques sont même luminescents comme des lucioles. On se débat comme des diables. Gros soulagement quand on entend le bus klaxonné au loin, ni une ni deux on prend nos jambes à nos cous et nous précipitons vers lui. Le chauffeur se moque joyeusement de nous. Expérience traumatisante ! On y pense encore souvent.


On comprend vite que les possibilités de rayonner autour de la ville sont néanmoins assez limitées. Les barrages routiers gênent considérablement la circulation, il faut donc penser chaque chose en amont et se renseigner. Alors que la veille nous avions longuement étudié notre sujet : le volcan Telica, afin de pouvoir nous y rendre et d’en faire l’ascension par nous même, nos plans sont rapidement anéantis. Levés très tôt, nous marchons jusqu’à la gare routière pour prendre le premier bus qui passe pas loin du volcan. Une fois arrivés on nous informe que ce n’est plus un barrage mais deux qui bloquent la route dans la direction du volcan. Du coup, le bus est obligé de prendre un détour qui nous ferait arrivé beaucoup plus tard que prévu. Le retour n’est pas non plus assuré, on laisse donc tomber. En lieu et place nous arpentons la ville à nouveau, son marché et montons sur le toit blanc de la cathédrale parsemée de dômes. On profite du panorama alors que le soleil décline.


Finalement une semaine plus tard, nous décidons de ne pas nous rendre au volontariat dont des copains qui nous avaient passé le filon nous donnent d’assez mauvaises nouvelles qu’ils ont eux-mêmes reçus d’une fille sur place. Çe sera donc le sud.


A travers un Nicaragua paralysé


Sentant que la situation se tend, Patrick nous conseille de nous rapprocher d’une frontière et donc de filer vers le sud avec quelques provisions dans le sac à dos, car là-bas et comme ici, les supermarchés ne sont plus approvisionnés depuis quelques temps déjà. Armés de quelques paquets de riz et de pates, nous réservons un shuttle pour le 10 juin en direction de San Juan del Sur, le voyage en bus public étant impossible en raison des barrages. Dans la nuit, ils sont passés d’une quarantaine à plus de 130. Le matin, nous constatons avec surprise que nous ne sommes que 2 à partir et que nous avons donc droit à un taxi privé. Rapidos, le chauffeur fait le plein d’un ou deux bidons qu’il refourguera plus tard à un type dans la campagne. Certaines zones ne sont plus fournies en combustible, sur la route les files de voitures aux stations essence .

Les barrages aux abords de Leon nous rendent la tâche difficile, le chauffeur multiplie les tentatives via différents axes, à chaque fois il faut faire demi tour. Des jeunes encagoulés et armés de manière artisanale nous invitent à faire demi tour, l’échange est cordial bien qu’un peu crispé. Finalement, à un ultime barrage, nous obtenons d’un groupe d’insurgés de passer et de sortir enfin de Léon, après qu’ils se soient assurer que nous sommes bien des touristes et non des partisans d’Ortega. L’un d’eux nous nous souhaite un bon séjour avec chaleur. Après cela nous ne rejoindrons quasiment jamais la route principale et nous n’emprunterons que des pistes à travers champs.


Les 5 heures de voyage deviennent 8 heures en raison des différents détours que nous sommes obligés de prendre. Nous traversons rapidement et facilement la périphérie de Managua, la capitale, puis faisons étape à Granada où nous changeons de chauffeur. Granada, c’est la belle ville coloniale du Nicaragua, la sœur rivale de Leon. Malheureusement, ici, les heurts ont été beaucoup plus violents et manifestants et milices se toisent et s’affrontent. Sur toute une artère les magasins ont été pillés d’autres brulés. Ici, la police gouvernementale n’a plus le droit de mettre les pieds, c’est un véritable chaos. Du coup, les habitants s’organisent. On observe un nombre incalculable de barrages, notamment aux abords des supermarchés déjà au trois quart vides mais que les habitants protègent comme ils peuvent. Les pavés des routes sont systématiquement déchaussés pour construire des barricades qui se succèdent tous les 20-30 mètres par endroits. Notre nouveau chauffeur, un gars d’ici, obtient les laisser-passer de la part des jeunes et moins jeunes de son quartier. On évite Masaya, le point culminant de la contestation. De nouveau nous n’empruntons que des pistes de forêts sans rencontrer de nouvel obstacle pour enfin arriver à San Juan Del Sur, notre destination.



San Juan del Sur, on prend les vagues


Comme au Nord, le Sud n’a pas été épargné par la fuite des touristes. Ville balnéaire par excellence, en temps normal, San Juan Del Sur ameute quantité de jeunes surfeurs et familles pour lesquelles les activités ne manquent pas. A ce moment là c’est plutôt calme plat. Située dans une jolie baie, la ville en elle-même n’a pas vraiment d’intérêt si ce n’est sa proximité avec plusieurs plages réputées pour le surf. Comme à Léon, nombreuses boutiques et agences ont fermé leurs portes. On ne croise pas beaucoup de monde mais le climat est tout de même plus zen et l’environnement très beau. Ici pas de barrages et de conflits, seules les marchandises ont du mal à entrer et les pompes à essence sont à sec. On se loue des vélos pour rejoindre les différentes plages, petites beautés désertées où nous nous essayons une nouvelle fois au surf. On commence à prendre goût à ce sport bien qu’on passe encore une bonne partie du temps la tête sous l’eau. Peu à peu ça vient. Le jour suivant nous grimpons sur les hauteurs de la ville où une statue de Jésus, haute de 24 mètres, surplombe la baie. L’endroit a des airs du Corcovado de Rio de Jaineiro. Sur le chemin on croise des centaines de crabes à coque bleu nuit et aux pattes orange vif. Véritable invasion jusque dans la chapelle logée sous la statue.

Le jeudi matin, alors que nous envisagions d’aller faire une nouvelle virée sur les plages au sud de la ville, notre logeuse nous informe qu’une grève générale est prévue pour le lendemain. Et ici qui dit grève générale dit tout s’arrête. Commerces, bus, administrations, usines. Tout. Or, c’est justement ce jour là que nous avions prévu d’aller sur l’île d’Ometepe. Après quelques minutes de concertation, nous décidons de partir sur le champs car le trafic des bateaux pour se rendre sur l’île a été considérablement réduit. Il faut donc se dépêcher pour essayer d’en attraper un. Nous remballons nos affaires en quatrième vitesse et montons dans le premier bus pour Rivas, ville où se trouve l’embarcadère. On dit ciao à San Juan Del Sur et ses plages paradisiaques qui nous ont fait bien plaisir.



L’île d’Ometepe, parenthèse au paradis


Arrivés à Rivas, on se presse pour rejoindre l’embarcadère où l’on nous informe qu’un bateau devrait partir vers 14h. C’est le 2eme de la journée et probablement le dernier, alors que normalement les voyages se comptent par dizaines chaque jour. Une fois les bancs remplis, notre bateau se charge en vivres et en essence. La réduction du trafic rend l’approvisionnement de l’île plus compliqué. Pour info, Ometepe se situe su un lac entre l’Atlantique et le Pacifique et non dans la mer. Et d’ailleurs nous apprendrons plus tard qu’il a été question un bon moment de construire un canal de type panaméen, l’endroit s’y prêtant plutôt bien. Evidemment, cela aurait été une catastrophe écologique sans nom mais à priori pour l’instant le projet porté par des entreprises chinoises pour concurrencer les Etats-Unis et leur Canal du Panama a été rejeté. Quand on sait dans quel état est la planète on est dépité d’entendre cela.


Après une petite heure sur l’eau nous arrivons sur l’île où nos hôtes nous accueillent très gentiment. Ça fait longtemps qu’ils non pas eu de visiteurs. Pour la faire courte, l’île d’Ometepe est tout simplement un trésor de la nature riche de mille paysages et d’une biodiversité fantastique. Singes, oiseaux, papillons, on est constamment en train de regarder quelque chose. Ometepe est formée de deux îles qui se rejoignent grâce à une étroite bande de terre marécageuse et toute plate où pessent les vaches et les chevaux. Sur chacune d’elles trône un volcan, le Conception au nord et le Maderas au sud. D’où que l’on soit sur l’île on peut voir le Conception dont la surface est trouée par de multiple crevasses et le sommet souvent caché par les nuages. A sa base et sur presque l’ensemble de l’île, une forêt dense et verdoyante recouvre les plaines et les collines. Ici, des piscines d’eau turquoise à la température délicieuse, là des cascades puissantes et gigantesques, ailleurs encore des plages de sable fin et gris empli de sédiments volcaniques et partout des arbres chargés de fruits ou de fleurs. Coupée du monde, l’île vit à un rythme très tranquille qu’on adopte avec plaisir. Sa traversée se fait facilement, surtout à scooter, on en profite donc un maximum. Pour autant, les habitants de l’île ne se désintéressent pas du sort de leurs concitoyens et eux aussi se mobilisent. Bien qu’on est pas eu vent de heurts ou de grosse manifestation, un barrage est installé sur la seule route qui serpente l’île et des messages sont inscrits sur les murs ou les abris bus.


Après quelques jours sur ce paradis terrestre, nous reprenons le bateau de très bonne heure pour rejoindre notre prochaine destination, le Costa Rica. C’est avec un gros pincement au cœur que nous quittons le Nicaragua, en partie parce qu’on a trouvé ce pays fabuleux, mais surtout parce qu’on comprend que les choses vont continuer d’empirer. Et malheureusement, les évènements qui ont suivi n’ont fait que le démontrer. On pense à chacun de ceux dont nous avons croisé la route et plus largement à tout le peuple nicaraguayen.




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