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  • Photo du rédacteurM&S Brichart

Cambodge #2 - Les Khmers, à la ville comme à la campagne

Dernière mise à jour : 22 mars 2019


Du 25 février au 6 mars


La parenthèse sur la petite île encore préservée de Koh Rong nous a fait du bien. A taille humaine quoique populaire, l’atmosphère y est bon enfant et la nature superbe. Escarpée, couverte d’une jungle dense, aucune route ne la traverse. On part donc à sa découverte à pied en s’aventurant à travers arbres et rochers afin de rejoindre les magnifiques plages qu’elle recèle.


Toutefois, vu l’allure à laquelle les choses changent ces derniers temps au Cambodge, ça ne va surement pas durer. C’est en tout cas ce qu’on entend beaucoup sur place. Mais surtout, c’est ce qu’on ne tarde pas à vérifier en passant par Sihanoukville, port de commerce et cité balnéaire en pleine mutation.


Passage obligé pour aller et revenir de Koh Rong, Sihanoukville n’est plus qu’un entremêlât de bulldozers, de marteaux piqueurs, de grues et de bétonneuses sur des dizaines de kilomètres en bord de mer. De jour comme de nuit on entend le vacarme des machines que des équipes d’ouvriers chinois manœuvrent sans relâche. La poussière grise se dépose partout, c’est oppressant. En marchant un peu dans les parages, un sentiment d’aberration et de déprime nous assaille devant le chaos qu’est devenu cette ville qui était il n’y a pas si longtemps une sympathique destination touristique. En fait, en seulement quelques années, Sihanoukville est passée aux mains d’investisseurs chinois qui veulent en faire une nouvelle Macao, une ville entièrement destinée aux joueurs et vacanciers chinois. Ainsi, de nouvelles barres de béton poussent tous les jours pour accueillir hôtels et casinos. Et vu le résultat, il y a peu de chance qu’existe un plan d’urbanisme encadrant tout cela. C’est horrible.

S’ajoute à cela une flambée des prix de l’immobilier qui oblige les cambodgiens à quitter leurs habitations dont ils ne peuvent plus supporter le coût. Ces derniers migrent alors vers des quartiers plus excentrés ou tout simplement vers d’autres villes. Maisons et commerces sont rasés pour faire place nette à de nouveaux gratte-ciels. Et le plus étrange dans tout cela c’est qu’on a plus du tout l’impression d’être au Cambodge, l’écriture khmère a été remplacée par le mandarin dans certains quartiers et une diaspora chinoise bien implantée grossit tous les jours de nouveaux arrivants ce qui transforme considérablement le visage de la ville. Bref, ça nous a scié les jambes et on avait qu’une hâte, quitter cet endroit.



Phnom-Penh, une ville qu'on a aimé


La route que nous empruntons pour rejoindre Phnom-Penh depuis Sihanoukville nous présente à nouveau une facette du Cambodge que nous n’avions pas encore perçue, celle d’un pays « usine du monde ». Sur des centaines de kilomètres, de chaque côté de la route se succèdent d’immenses entrepôts et usines depuis lesquels on voit déferler une marée d’ouvrières ayant fini leur journée de travail. L’accès aux usines est contrôlé et le corps de bâtiments est encerclé par des murs opaques. Impossible de jeter un œil à l’intérieur ou de savoir de quelle industrie il est question. A part le nom de la compagnie rien n’est affiché. On ne peut pas s’empêcher de se demander dans quelles conditions de travail évolue tout ce monde. Les scandales sont si fréquents. Ce sont principalement des femmes que l’on voit sortir par l’unique voie d’accès à l’usine. On en compte des centaines à chaque fois. Toutes sont couvertes des pieds à la tête. Un foulard cache leur visage. A mesure que notre bus avance sur cette route, on croise des dizaines de camionnettes chargées de ces mêmes ouvrières. Un ramassage est donc organisé par l’entreprise pour acheminer la main d’œuvre jusqu’aux portes de l’usine. Il y a tellement de monde, c’est très impressionnant. C’est tellement rare de voir cela en France de nos jours.



Nous restons 5 jours à Phnom-Penh dont nous apprécions particulièrement l’atmosphère. La ville est animée mais respirable et l’on prend plaisir à se promener dans ses grandes avenues comme dans ses rues plus étroites et végétalisées. Héritage colonial, l’architecture style Art Déco des immeubles aujourd’hui décrépis lui donne un côté rétro qui tranche avec les différents temples et palais, ceux-là dans un pur style khmer. Située à la confluence de 4 fleuves, dont l’imposant Mékong, Phnom-Penh nous plait. Ici aussi les cambodgiens y sont très sympathiques et il n’est pas rare d’en croiser jouant à la pétanque. On y retrouve la bande de Metz puis Marie B., revenue du Vietnam. Nous passons pas mal de temps à l’Institut Français où il se produit des tas d’évènements sympas, notamment une soirée RAP. C’est la première fois en Asie que l’on sent qu’une ville brasse une population aussi cosmopolite et intégrée. Et pour cause, puisque Phnom-Penh accueille un grand nombre d’ONG et donc d’expats mais aussi des Vietnamiens, des thaïs, des chinois, etc. On est conquis.



Phnom Penh est aussi une ville qui vibre de par son histoire et celle de son pays. En se baladant dans ses différents quartiers on a du mal à imaginer qu’en seulement 2 jours d’avril 1975, la ville s’est complètement vidée de ses habitants, 2 millions de personnes, hommes, femmes, vieillards, enfants, et malades. Trompés par les soldats khmers rouges qui diffusent une fausse menace d’attaque aérienne imminente, toute la population se retrouve sur les routes, démunie et contrainte de tout abandonner derrière elle. Le grand projet de l’Angkar, « l’Organisation » des khmers rouges, prend forme : supprimer la population urbaine et les élites pour ne former qu’un seul corps paysan et soumis aux lois du Kampuchea démocratique.

20 000 personnes mourront durant cet exode forcé. Les récalcitrants seront exécutés. Cet épisode, notamment marqué par le siège de l’Ambassade française, inaugure les 4 années de répression sanglante et d’autoritarisme sans limites que les dirigeants khmers rouges vont faire vivre aux Cambodgiens. Un quart de la population mourra sous le joug de l’Angkar, soit 2 millions de personnes, enfants comme adultes, décimés par la faim et l’épuisement du fait de conditions de vie et de travail épouvantables mais aussi de la torture et de l’exécution systématique des supposés opposants au régime. La communauté internationale n’a pour ainsi dire rien fait pendant tout ce temps.


Il faut dire que le Cambodge était à cette époque là en proie à une grande instabilité. Voisin d’un Vietnam à feu et à sang, bombardé sans scrupules par les Américains afin d’affaiblir les réseaux des communistes vietnamiens cachés au Cambodge, enlisé dans une guerre civile et dans des conflits politiques internes largement instrumentalisés, le contexte était idéal pour qu’un groupe d’extrémistes se revendiquant proche du peuple réussisse à prendre le pouvoir et finisse par déployer sa macabre idéologie. Encore une fois l’Histoire se répète, tristement.



La visite de l’ancien centre de détention et de torture S-21 devenu musée en est l’un des plus poignants et terrifiants témoignages. Ce lycée fut convertit par les khmers rouges en prison, la plus secrète et « efficace » du pays où de faux aveux étaient tirés aux prisonniers soumis à d’atroces séances de torture et finalement exécutés. L’Angkar considérait qu’il valait mieux tuer un innocent que de laisser vivre un potentiel ennemi. Une stricte organisation était alors au service d’une inhumanité sans nom, la folie d’un homme, Pol Pot et de ses sbires. La visite, très bien documentée, est éprouvante pour nous deux et pour les gens qui nous entourent. Le musée pourtant plein est très calme. Seulement 7 personnes ont pu survivre à cet enfer, mais on estime que 20 000 y ont perdu la vie.



Après S-21 on reste hantés par les images que l’on a vu et dubitatifs face au fonctionnement et à l’hyper violence des Khmers rouges et de leurs chefs. Plusieurs finiront par être exécutés par leurs propres camarades tant le soupçon et la terreur animaient ces hommes. Quelques jours plus tard, nous partons visiter un autre lieu de mémoire proche de Phnom Penh, les « Killing Fields », des champs ayant servis de fausses communes. Une fois de plus l’audio-guide accompagne avec beaucoup de justesse cette immersion dans un lieu de pure horreur dont on sort à nouveau engourdis.


Dans ce pays si gentil et généreux, le traumatisme est toujours vif et la parole n’est pas si facile à assumer. Beaucoup de cambodgiens ayant connu cette période vivent encore, certains n’ont pas 40 ans. Tous ont perdu des membres de leurs familles ou des amis. Des tribunaux ce sont tenus sur le tard (à partir de 2006) pour juger certains chefs de l’Angkar. Pendant des années Pol Pot et sa clique, alors même qu’ils avaient été renversés et que le génocide qu’ils avaient perpétré était connu de tous, ont été considérés par la communauté internationale comme le gouvernement légitime du pays. Certains ont donc continué à vivre en toute impunité pendant des années.


A la fois terrifiant et passionnant, cet épisode de l’histoire cambodgienne a fait couler beaucoup d’encre. D’ailleurs si vous voulez en savoir plus on vous recommande 2 bouquins, Le Portail de François Bizot, qui traite de l’avant khmers rouges et l’épisode de l’ambassade française à Phnom Penh et L’année du lièvre, une BD en trois tomes racontant l’histoire d’une famille cambodgienne à cette période. Le film The Killing Fields ou La Déchirure est également très bien. Tout ça n’est pas très gai mais on vous assure qu’on a beaucoup aimé Phnom Penh !



Kratie et les dauphins d'eau douce


Après la capitale, nous remontons le Mékong en direction du Laos. Avant de définitivement quitter le Cambodge nous faisons halte dans la petite ville de Kratie et plus exactement sur l’île de Koh Trong située au milieu du Mékong. Là-bas on est immergés dans un Cambodge rural et tranquille. L’île est couverte de rizières et d’arbres fruitiers. On y compte plus de vaches que d’habitants. Les pastèques envahissent les plages sablonneuses que bientôt la mousson viendra inonder.



Pendant 4 jours nous logeons chez l’habitant, dans une grande et belle maison traditionnelle en bois montée sur pilotis. Notre hôte Viray, un jeune homme de 25 ans a entrepris d’accueillir des touristes chez lui pour soulager ses parents trop vieux pour travailler aux champs. Ils sont adorables et l’ambiance est joyeuse dans cette maison où l’on rencontre d’autres voyageurs. Pendant notre séjour, nous goûtons à une délicieuse cuisine qui nous change des sempiternelles fried noodles qu’on trouve dans les gargotes. Viray nous fait visiter son île et nous conduit à différents endroits dans le coin.



Nous partons notamment à la rencontre des dauphins d’Irrawady, des dauphins d’eau douce en voie de disparition mais dont la préservation est encouragée via un programme d’incitation auprès des pêcheurs qui se muent en guides sans pour autant que leurs revenus en pâtissent. On profite aussi des eaux turbulentes du Mekong pour une baignade rafraichissante. Les cambodgiens ont le goût pour ce genre d’activités et construisent d’ingénieuses structures en bois et bambou au raz de l’eau pour faciliter la baignade et pique-niquer en famille. C’est super chouette !



Cette pause à Kratié nous a enchantée et c’est avec regret que nous quittons la paisible île de Koh Trong. Nous passons notre dernière nuit au Cambodge à une soixantaine de kilomètres de la frontière avec le Laos. Les regrets ne sont que de courte durée puisque c’est là-bas que nous avons rendez-vous avec François Brichart et Mathilde, sa copine. Enfin, faut-il encore traverser la frontière et ça, c’est pas le plus sympa. Enfin c’est ce qu’on croyait… On vous raconte ça dans le prochain article sur le Laos !



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