Myanmar #2 - Le pays du sourire et pas que
- M&S Brichart
- 29 janv. 2019
- 9 min de lecture
Du 30 décembre au 15 janvier
Et voilà, pour être sûr de bien commencer cette nouvelle année, on entame 2019 par une quinzaine bien chargée à travers le Myanmar. Autant être clair tout de suite, on est complètement fans !

Mandalay, la puissance du bouddhisme
Depuis le Lac Inle, nous rejoignons d’abord Mandalay, seconde ville du pays et haut lieu religieux et historique situé au centre du Myanmar. La ville en elle-même manque cruellement de charme mais offre une localisation idéale pour aller découvrir ses alentours généreusement dotés. Et pour cause ! La région est traversée par le fleuve Irrawady sur les rives duquel les capitales d’anciens puissants royaumes se sont installées et développées il y a de ça des siècles.
Limités en temps, on loue un scooter pour être plus libres et partons à la découverte d’Inwa et d’Amarapura, deux villes truffées de vestiges qui témoignent de leurs glorieux passés dans un écrin de nature verdoyant et magnifique, partagé entre rizières et collines. Comme à Inle, on retrouve beaucoup de touristes ici, surtout sur le fameux pont U-Bein, le plus long pont en tek du monde sur lequel se presse une foule de curieux et de locaux. Surement plus chouette quand il y a moins de monde, mais ça vaut tout de même le détour.

Un peu plus loin sur le bord de l’Irrawady il n’y a déjà plus un chat. On entend que le bruit des métiers à tisser en action cachés à l’intérieur de baraquements en bambous. Etendus en face, des kilomètres de fibres textiles colorées sèchent au soleil. On profite un moment de l’atmosphère reposante de ce petit quartier ouvrier baigné par une lumière dorée. Alors que le soleil se couche, les machines s’arrêtent et les hommes viennent s’installer dans la rue pour jouer aux cartes pendant que les femmes discutent entre elles. Pendant un instant, c’est une bien jolie vision que l’on a de ce petit coin qui nous ferait presque oublier la misère dans laquelle vivent ces gens.

S’il y a bien une chose qu’on remarque d’entrée au Myanmar, c’est certainement la ferveur religieuse des bouddhistes. Portée par 90% des birmans, cette religion imprègne littéralement toute la société. Mandalay, centre religieux majeur du pays, ne déroge pas à la règle. La ville compte plus de 70 000 moines répartis dans les centaines de temples, de pagodes et de monastères de la région. De plus, les monastères faisant office d’écoles et/ou d’orphelinats pour les enfants défavorisés ou orphelins, tous ces petits novices viennent remplir les rangs de l’énorme communauté de moines présente au Myanmar. Crânes rasés, vêtus de tuniques couleurs safrans pour les hommes et les garçons, rose pour les femmes et les filles, ils se mélangent à la population qui leurs prête une attention toute particulière. Les birmans n’hésitent d’ailleurs pas à verser 20% à 30% de leur revenu à cette seule cause. Heureusement pour les moines et les monastères qui ne vivent que de donations, notamment pour la nourriture. Chaque matin, dès l’aube, les processions de moines se forment pour aller chercher de quoi se nourrir dans les rues ou dans les marchés auprès de leurs congénères. Aucune pression n’est exercée, c’est tout naturellement que les gens donnent, par respect et dans un esprit de solidarité (une règle prévoit que chaque bouddhiste doit se faire moine au moins 2 fois dans sa vie, sans obligation de prononcer ses vœux). Certes, on en a pas vu tous les jours car on est pas aussi matinaux qu’eux, mais on a trouvé cette scène à chaque fois étonnante.

Hsipaw, le triangle d’or et les conflits ethniques
La région de Mandalay est bien jolie mais nous ne tenons pas très longtemps en ville et retournons très vite dans les montagnes situées dans l’Etat Shan. Nous posons nos sacs à Hsipaw, petite ville qui marque l’entrée dans le très controversé triangle d’or qui couvre une large zone à cheval sur le Myanmar, la Thaïlande et le Laos.
Ici, nous renouons avec plaisir avec certaines des ethnies qui peuplent le pays. Hsipaw dégage une atmosphère agréable et reposante dans cet arrière pays fait de petites montagnes et de champs tourné vers l’agriculture. Au détour de balades, on remarque qu’une importante communauté chinoise s’est installée ici. Cela n’a rien d’étonnant étant donné qu’on est assez proche de la frontière avec la Chine. Néanmoins, on apprend de Maï, un jeune guide de montagne dont nous avons fait la connaissance, que cela n’a en réalité rien d’anodin puisque la plupart des « business » de la ville appartient à cette diaspora chinoise. En manque de moyens, impuissants, Maï regrette que les birmans laissent glisser entre leurs doigts d’importantes opportunités de développement.

Nous rencontrons Maï au détour d’un chemin alors même que nous sommes partis tous les deux pour un petit trek de deux jours en solo. Après quelques échanges et trop courtois pour nous faire des reproches, il finit par nous proposer de nous joindre à lui et Peter, un jeune client hollandais, pour passer la nuit chez l’habitant. Au Myanmar, la législation est stricte concernant l’accueil d’étrangers. Seule une autorisation spéciale des autorités le permet. Du coup, dans les coins isolés ça n’est pas toujours simple de se trouver un toit à l’improviste. Juste avant d’arriver au hameau où nous ferons halte pour la nuit, on s’étonne de passer par un poste militaire où est basée une petite garnison. Ca nous rappelle que le pays est toujours enfoncé dans d’inextricables guérillas ethniques et ce depuis l’indépendance.
En l’occurrence, dans l’Etat Shan, le climat est tendu et les heurts fréquents entre l’armée birmane et la guérilla indépendantiste shan dont les armes sont en partie financées par les barons de la drogue. L’opium est massivement et illégalement cultivé dans cette région, faisant du Myanmar l’un des plus gros producteurs du monde. Or, les trafiquants ont tout intérêt à ce que la situation reste explosive puisque cela permet à leur trafic de prospérer. On ne sait pas exactement quel rôle joue l’armée dans tout cela, toujours est-il qu’elle maintient la pression sur les communautés ethniques qui revendiquent plus d’autonomie. Au même moment, de l’autre côté du pays, les tensions sont vives entre l’armée et un groupe armé d’extrémistes bouddhistes ayant perpétré des attentats contre les forces de l’ordre début janvier. Cela se passe à la frontière avec le Bangladesh, dans l’Etat Rakhine tristement connu pour la crise humanitaire que connaissent les Rohingyas. La situation là-bas est toujours aussi flou et illustre encore une fois un climat plus que tendu au Myanmar.
Perdus dans la montagne avec Maï et Peter, dans ce tout petit hameau où la vie suit son cours, où les enfants portent à bout de bras de gros jerricanes d’eau pendant que les parents rentrent des champs chargés de bois, Maï nous raconte son pays, ses choix et ses projets. Autour d’un petit verre d’alcool de riz pas fameux mais revigorant, on capte grâce à lui une autre dimension de ce pays troublé.
Le lendemain matin, après avoir quitté nos deux amis, nous retournons vers Hsipaw. En chemin nous croisons 4 militaires armés qui escortent un homme, pieds nus, en piteux état, portant un sac de riz d’au moins 30 kilos sur les épaules, une corde nouée autour coup retenue par l’un des militaires. Choc. Instant extrêmement bizarre qui nous sert le cœur, on se demande si l’on a pas rêvé… C’est aussi ça la Birmanie.

Bagan, la majesté de l’Histoire
Que dire sur le mythe Bagan qui n’a pas déjà été dit. On confirme bien volontiers que cet ensemble fait de milliers de pagodes et de temples en briques rouge, petits ou grands, dispersés dans une nature sauvage, c’est effectivement très très beau et très très impressionnant. Hormis une journée pluvieuse, montés sur notre petit scooter électrique, nous avons pris un immense plaisir à emprunter de petits sentiers de terre pour passer d’un temple à un autre. On a profité de panoramas magnifiques et d’une atmosphère très calme alors qu’on s’attendait à un monde fou et à un endroit plus dénaturé. Mais le lieu est tellement vaste que l’on s’y perd facilement. C’est génial.

Bagan a longtemps été réputé pour la totale liberté qu’avaient les visiteurs de monter sur ses vestiges, mais depuis quelques temps, il est interdit de monter sur une partie des édifices dans un souci de conservation. Tant mieux ! Toutefois, certains restent accessibles à condition de grimper un peu. On profite alors de couchers de soleil mémorables, particulièrement le dernier soir. Perchés sur une très belle pagode, la scène est magique avec d’un côté le soleil qui glisse derrière les montagnes et inonde d’une lumière de feu cette étendue verte infinie d’où émergent des milliers de temples rougeoyants. Grandiose.

Mawlamyine et Hpa-An, pour conclure en beauté
Nous quittons Bagan et prenons la direction du sud-est, vers la frontière avec la Thaïlande où l’on s’achemine tout doucement. Après une nuit et un journée de bus, on arrive enfin à Mawlamyine où nous passons 2 jours plutôt tranquilles. Le retour à la lourdeur et l’humidité auxquelles nous n'avions plus goutées depuis l’Inde du Sud couplé au contrecoup du voyage nous harassent un peu. On ne s’aventure donc pas plus loin que la ville en elle-même en vadrouillant dans son marché, ses temples perchés en haut de collines au beau milieu de la ville ou sur la balade au bord du fleuve. Très cool donc.
Finalement, nous rejoignons Hpa-An en bateau, notre dernière étape au Myanmar. A mesure que l’on remonte le fleuve depuis Mawlamyine, un nouveau paysage se dessine autour de nous. De plus en plus de reliefs karstiques viennent trancher avec le plat du pays fait de rizières et de jungle. Nous passons 4 jours à arpenter cette magnifique région très verte et lumineuse. Nous nous enfonçons à l’intérieur de ces montagnes rocheuses et vertigineuses sorties d’on ne sait où. Certaines sont traversées de part en part par des galeries souterraines naturelles que les bouddhistes ont aménagé en temples. On a jamais vu ça dans de telles proportions. Stalagmites et stalactites cohabitent avec des statues géantes du bouddha installées dans de gigantesques cavités. C’est saisissant, parfois même un peu oppressant.

Nous nous lançons également dans l’assaut de la plus haute et plus massive de ces montagnes sur laquelle un monastère s’est établi. L’ascension n’est pas évidente tant la pente est raide et la chaleur suffocante. Mais cela n’empêche pas les birmans de tout âge de s’y aventurer. On croise de nombreux karens, l’une des communautés ethniques du pays qui réside principalement dans cette partie du Myanmar. Ici, comme partout où nous avons été au Myanmar, nous profitons de la gentillesse des birmans, toujours souriants et prévenants à notre égard. On ne sait plus comment les assurer de notre gratitude.
Ces 4 jours à Hpa-An signent la fin de ce très très beau mois que nous avons passé au Myanmar et dont on part le cœur chargé à bloc. A la fois passionnant et touchant, ce pays ne laisse pas indifférent, au contraire il vous absorbe. Aujourd’hui notre sentiment est partagé quant au destin de ce pays qui ne s’est ouvert que récemment au monde. Car le Myanmar est un pays riche. Riche de sous-sols généreusement pourvus en pierres précieuses, en hydrocarbures et autres gisements miniers dont l’immense valeur attisent les convoitises de plus puissants que lui. Ainsi, et comme souvent dans les pays émergeants ou faibles sur la scène internationale, les secteurs stratégiques pour le développement économique du pays sont accaparés pour ne profiter qu’à un petit nombre et à des sociétés étrangères devenues propriétaires dans des conditions obscures. La corruption fait bien son travail. D’autant que la géographie du Myanmar pourrait en faire baver plus d’un avec son très long front de mer, sa terre fertile, ses climats favorables à une agriculture diversifiée et sa localisation aux frontières de plusieurs pays d’envergure. Et pourtant le Myanmar est un pays pauvre. Pauvre puisqu’une immense partie de sa population vit de presque rien en travaillant 10 à 12 heures par jour et reste privée de la modernité dans ce qu’elle a d’utile (électricité, eau courante, éducation, santé).
Au fur et à mesure de nos pérégrinations dans ce pays dont les paysages et les habitants n’ont cessé de nous émerveiller, nous remarquons toutefois que quelque chose est en mouvement. Des chantiers extraordinaires viennent transpercer les montagnes, aplanir et bitumer les sols pour tracer des routes commerciales vers la Chine (et les pays voisins). Le pays encore préservé jusqu’ici de l’implantation des grandes enseignes de fast food ou de prêt à porter, pour ne mentionner qu’elles, que l’on retrouve absolument partout ailleurs dans le monde, commence tout juste à se laisser faire au jeu de la mondialisation. Le Myanmar, encore authentique, c’est-à-dire fidèle à sa culture, voit probablement le vent tourner pour lui pour le meilleur comme pour le pire. Toujours très instable en interne et fragile sur la scène internationale, on peut se demander combien de temps il lui faudra pour céder aux sirènes de la mondialisation ? Comment faire pour que les atouts de la modernité lui soient accessibles sans pour autant perdre son identité et se faire piller ses richesses ? Va-t-on assister au même scénario qu’en Thaïlande, au Cambodge, au Laos ou au Vietnam ?

Ce sont autant de questions que l’on se pose quand on voyage au Myanmar. Car, bien que pauvre économiquement, ce pays dévoile une telle richesse culturelle qu’on ne peut rester insensible à cette problématique de préservation. De cette culture intimement liée à la religion et à laquelle nous sommes désormais étrangers, nous occidentaux, nous mesurons à quel point elle est importante pour le peuple birman. Elle permet de maintenir un certain équilibre, un cadre adopté par le collectif. Bien sûr, tout n’est pas rose et certaines traditions ou principes sont discutables, mais il nous a semblé que les birmans ne laissent personne sur le côté. Il émane d’eux une gentillesse et une sérénité qui nous renvoient à la face nos propres agissements et notre « bien pensance » toute française. Evidemment, c’est très subjectif et nous n’étions pas forcément à l’aise avec tout ce que nous avons observé, beaucoup de choses nous ont questionnées, le poids du bouddhisme, sa légitimité, la place de la femme dans la société et dans la famille, les tensions politiques et ethniques, le pouvoir et les actions de l’armée, etc.
On est contents d’avoir pu y voir un peu plus clair mais on sent bien qu’il nous reste des tonnes choses à découvrir. Ce dont nous sommes sûrs, c’est d’avoir été troublés, émus et émerveillés par ce beau pays et son peuple charmant et souriant.
Désormais il est temps de dire au revoir à tous ces visages joliment blanchis par une couche de tanaka et ces sourires édentés et rougis par une consommation excessive de Betel. Merci aussi.
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