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  • Photo du rédacteurM&S Brichart

Nicaragua #1 - Sur fond de guerre civile

Dernière mise à jour : 2 oct. 2018


"se busca asesino" ou assassin recherché avec le visage de Daniel Ortega - Léon, Nicaragua

Quand les révolutionnaires d’hier tapent sur les révolutionnaires d’aujourd’hui.

 

Nous sommes le 3 juin quand nous prenons la route pour le Nicaragua. Alors que le même jour au Guatemala, le volcan El Fuego cause la mort de centaines de personnes et répand la désolation dans le cœur d’un peuple tout entier, c’est vers un pays tout aussi traumatisé si ce n’est plus que nous nous acheminons. Mais ça nous ne le savions pas encore. Car même si cela fait plusieurs semaines que de mauvaises nouvelles nous parviennent du Nicaragua, où la lutte violente et meurtrière dure et s’intensifie depuis avril, nous décidons, plutôt confiants, de suivre notre plan initial et d’y aller.


La veille de notre départ à Antigua, un français qui loge dans la même auberge que nous s’étonne de nous voir partir pour le Nicaragua. Lui-même y était au moment où la situation a explosé et depuis suit les infos relayées par des journaux indépendants et que les médias « traditionnels » taisent ou modifient à leur grès. Selon lui c’est très surprenant que les bus et navettes continuent de conduire des touristes vers le Nicaragua où le climat est tendu et les événements imprévisibles. Toutefois, il nous partage ses bons plans et coups de cœurs autour d’un petit verre de rhum savoureux. Et des coups de cœurs il y en a pléthore. C’est donc avec beaucoup de curiosité et ne sachant pas à quoi s’attendre que nous montons dans un shuttle en direction de Léon. 16 heures de voyage pour quitter le Guatemala, traverser le Salvador, le Honduras et arriver au Nicaragua. Nous sommes avec 6 autres personnes dans le bus mais tous s’arrêtent au Salvador.

Première frontière, première petite sueur. Le douanier guatémaltèque coince sur certains tampons et nous menace de ne pas nous laisser aller plus loin. On joue la surprise et discutons un moment pour le convaincre de notre bonne foi. Finalement il estampille notre passeport tout en nous avertissant que cela pourrait ne pas suffire au poste suivant. On continue comme si de rien n’était au poste suivant où l’on passe sans problème. Beaucoup de bruit pour rien, mais cela nous tend un peu pour la suite. En début d’après-midi, nos compagnons de route nous quittent et 4 autres nous rejoignent. Ceux-là vont aussi à Léon. Second passage de frontière avec Le Honduras, cette fois-ci pas de problème, mais on appréhende un peu celle avec le Nicaragua. Alors que la nuit est complètement tombée et qu’on commence à fatiguer, le bus se gare à côté d’un poste de frontière, il doit être 21h, ultime étape de ce voyage. S’en suivent deux longues heures où nous tournons en rond sur un parking vide en attendant de récupérer nos passeports. Pas une personne, pas une voiture, pas un camion ne traverse la frontière, l’endroit est désert, sans que nous sachions si c’est habituel ou particulier à cette soirée. Note chauffeur fait les allers-retours entre le poste et le bus pour nous informer de l’avancée des formalités. Un américain est interrogé pendant près d’une heure par les gardes frontières. A son retour il nous explique qu’il a du répondre à des questions improbables et complètement incohérentes qui lui sont répétées à plusieurs reprises. On est un peu surpris par la manœuvre, surtout qu’aucune autre personne n’est appelée à se présenter aux gardes frontières. Ils ne nous auront même pas vu, mais soit. Nous arrivons enfin à Léon, désertée à cette heure de la nuit et à laquelle les vitres teintées du bus donnent des allures un peu glauques. Mais peut-être est-ce dû à notre légère appréhension ? Le chauffeur nous déposent chacun devant notre hôtel et disparait rapidement.


Voilà, après cette longue journée de voyage, nous sommes au Nicaragua et il est temps de vous expliquez un peu plus en détail ce qui s’y trame, tragiquement, depuis près d’un mois et demi au moment où nous y mettons les pieds.

Pour commencer, rapide retour dans le passé afin d’apprécier certains événements historiques qui ont largement contribué à façonner le Nicaragua d'aujourd'hui. Ils peuvent aussi nous éclairer sur la situation actuelle, dont nous considérons qu’elle revêt un caractère plutôt paradoxale et vous allez comprendre pourquoi.


Comme dans de nombreux pays d’Amérique Latine au XXème siècle, le Nicaragua a été traversé par des luttes contestataires, idéologiques et armées qui ont marqué plusieurs générations. Cet héritage est encore très prégnant dans la mémoire collective nicaraguayenne qui continue d’honorer ses héros révolutionnaires. Or, en l’occurrence, l’actuel Président du Nicaragua, Daniel Ortega, n’est autre que le chef de file du parti révolutionnaire, le Front sandiniste de libération nationale, FSNL, fondé en 1961 et dont le nom est inspiré d’Augusto Sandino, chef des guérilleros ayant combattu la présence américaine dans le pays et finalement assassiné en 1934 par les alliés des Etats-Unis. Le FSNL, lui, lutta pendant des années contre le régime dictatorial aux mains de la famille Somoza. Cette dernière, soutenue par les Etats-Unis en guerre contre le communisme, s’accapare les richesses et détourne sans scrupules durant des décennies les fonds publics et les aides internationales. Autoritaire, ultra-libéral, conservateur, mais surtout très corrompu, le régime réprime tout soulèvement ou élan revendicatif. Le Nicaragua s’enfonce dans la misère et voit les inégalités se creuser toujours plus. C’est donc dans ce contexte intenable que débute la révolution populaire Sandiniste, mouvement de gauche inspiré de la révolution cubaine de Fidel Castro.

Pendant près de 20 ans, les camps s’affrontent violemment, jusqu’à ce que se déclare une véritable guerre civile courant 1978. On dénombre plus de 50 000 victimes. En 1979, le FSLN d’Ortega renverse enfin la dictature et libère un peuple asphyxié. Daniel Ortega et le FSNL prennent le pouvoir. Il devient Président pour la première fois de 1979 à 1990 avant de perdre la pouvoir à l’issue d’un conflit avec des contre révolutionnaires armés par les États-Unis et de le regagner par les urnes cette fois en 2007 jusqu’à aujourd’hui.


Lors de son premier mandat, il applique un programme inspiré de l’Union Soviétique : étatisation de l’économie, nationalisations, expropriations, alphabétisation. Mais au fil du temps, cet admirateur du Che opère une métamorphose, abandonnant le marxisme pour une gestion plus pragmatique du pouvoir. El Comandante et sa femme, Rosario Murillo, surnommée la « sorcière » par ses détracteurs, s’attachent de plus en plus au pouvoir tout en maitrisant à garder leur popularité auprès d’une majorité. Ils parviennent à apprivoiser les milieux d’affaires, à rassurer les organismes internationaux (notamment le FMI), tout en faisant allégeance au Vénézuélien Hugo Chavez, dont les petro-dollars et les dons en nature alimentent généreusement les programmes sociaux du gouvernement. Après avoir modifié la constitution et évincé les partis d’oppositions des élections présidentielles, Ortega est réélu en 2016 pour un quatrième mandat. Sur les 10 enfants élevés par le couple présidentiel, la plupart occupent des postes importants dans la politique, l’économie et les médias, de quoi rappeler le passé et la dynastie Somoza.


Tout ceci nous amène donc aux évènements actuels. Alors que pendant des années, Ortega et son épouse jouisse d’une grande popularité auprès des nicaraguayens, les multiples scandales de corruption et le népotisme au sein du gouvernement accusé de confisquer le pouvoir et de brider les libertés ont exaspéré une partie des citoyens du pays le plus pauvre d’Amérique centrale. Or, en avril 2018 et incité par le FMI, le gouvernement lance un projet de réforme des retraites afin de combler le déficit de la sécurité sociale. Excédé, le peuple réagit. Le 18 avril, les premières manifestions contre la réforme sont organisées. Conduites par les étudiants des principales villes du pays, celles-ci rassemblent des milliers de personnes. Malheureusement, le gouvernement n’entend pas laisser les nicaraguayens exprimer leur mécontentement et choisit de réprimer ces manifestations pacifiques par la violence. Ortega étant à Cuba à ce moment là, c’est son épouse qui donne l’ordre d’attaquer les manifestants. Les forces de l’ordre, soutenues par des milices composées de partisans sandinistes du président Ortega ainsi que des paramilitaires s’en prennent aux étudiants. Les opposants comptent leurs premières victimes, de jeunes étudiants. Pour les manifestants et une grande partie de la population, une ligne rouge a été dépassée. Désormais, Ortega en plus d’être devenu un dictateur qu’il avait jadis combattu, est aujourd’hui un assassin. Pour les opposants, il doit quitter le pouvoir.

Dans toutes les villes du pays, les manifestions se multiplient et grossissent, les citoyens se rassemblent et montent des barricades. Sur les routes principales, des barrages sont installés. A chaque fois, les forces de l’ordre interviennent et tuent. Peu à peu, le pays se paralyse, les touristes fuient, les corps diplomatiques présents sont invités à se retirer, les universités ferment, l’économie s’arrête et les deux camps campent sur leurs positions. D’un côté, l’Alliance civique pour la démocratie et la justice, coalition de l’opposition demande le retrait d’Ortega et des élections anticipées, de l’autre Ortega fustige les protestataires qu’il désigne comme des délinquants issus de la droite putschiste soutenue par les Etats-Unis et refuse le dialogue. L’Eglise, puissante dans ce pays très catholique, joue le rôle de médiateur et dénonce les interventions armées du gouvernement. Après 2 jours de négociations chapeauté par les Evêques début juin, le gouvernement se retire et la situation continue de s’envenimer. Les principales villes d’opposition, Masaya, Léon, Granada et la capitale Managua sont le terrain de heurs quotidiens. Les campagnes, anciens bastions révolutionnaires sandinistes, ne sont pas épargnées. Certaines parties du pays commencent à manquer de vivres et d’essence, des magasins sont pillés. Plusieurs grèves générales sont organisées pour faire pression sur le gouvernement mais sans résultat. La société civile appelle à la résolution du conflit mais le clergé peine à faire communiquer les deux parties et est même accusé par le gouvernement de complicité avec les «terroristes» de l’opposition.


A l’heure où l’on vous écrit, (18 juillet), et après 3 mois de répression, il y a eu près de 300 morts et des milliers de blessés au Nicaragua, principalement des jeunes. Aux groupes lourdement armés, les manifestants répondent avec des barricades de pavés et de branchages, des mortiers artisanaux et des jets de pierres. Désormais, même les églises dans lesquelles se réfugient les manifestants sont attaquées par les groupes armés à la solde du pouvoir. Les prêtres sont menacés et les observateurs extérieurs dont le pays a accepté la venue que tardivement sont constamment discrédités par Ortega et ses partisans. Bien que la majeur partie de la population se revendique encore sandiniste, beaucoup de personnes rejettent le « danielisme » et soutiennent les opposants. Une des manifestations a considérablement marqué l’opinion publique et forgé sa résignation à lutter contre le pouvoir. Celle-ci se déroule lors du dimanche de la fête des mères durant laquelle un cortège menée à sa tête par les mères et grands-mères des étudiants victimes de la répression, est attaqué par les paramilitaires et les forces de l’ordre, faisant plusieurs morts. C’est tout un pays qui est scandalisé par le peu d’humanité et la violence sans limite de leurs dirigeants.

Cette situation raisonne tout particulièrement avec celle que connait le Venezuela où règne un pareil chaos actuellement. Maduro étant un allié précieux de Ortega, il semble que les régimes aient décidé d’adopter la même stratégie de répression violente pour répondre et mater les revendications des opposants. De plus en plus de personnes fuient vers les pays voisins et racontent leur désespoir de voir leurs pays s’enfoncer dans la crise.


Nous concernant, il est vrai que notre passage au Nicaragua nous a beaucoup marqué et interrogé. Ce conflit a tout d’une tragédie classique dont on sait que la fin ne sera pas la plus joyeuse et qui se joue devant nos yeux. Les héros révolutionnaires d'hier répriment la jeunesse contestataire d'aujourd'hui. C’est tout un peuple qui se déchire sur fonds d’ingérence de la part de puissances extérieures et de basses manœuvres politiques. Tout au long de notre périple, alors que nous observons un pays dont l’horizon est de plus en plus obscure et incertain, les visages de ses habitants se teintent de tristesse et de tension et leurs discours de désillusion. Bien que certains veuillent encore croire en une résolution prochaine du conflit et au départ d’Ortega, nombreux sont ceux qui envisagent la lutte comme durable et malheureusement meurtrière. Face à cela, nous nous sentons absolument démunis et nous mesurons notre chance d’être nés au bon moment au bon endroit.


Initialement nous devions passer un mois au Nicaragua mais face à l’évolution de la situation nous avons du écourter notre voyage dans ce pays pourtant d’une réelle beauté. Nous vous racontons notre expérience très singulière dans un prochain article que nous allons essayer de publier le plus rapidement possible.

On continue notre route mais on oublie pas le Nicaragua et son peuple adorable en espérant que les choses se calment et que le pouvoir retrouve la raison.



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